Question écrite au ministre Borsus

Selon une analyse de l’IWEPS et de la SOGEPA, plus de 1200 types de produits ont été importés en Wallonie entre 2017 et 2019, dont 135 provenant hors de l’Union européenne. Plus de 5 % de ces produits proviennent d’une concentration de peu de pays comme les États-Unis, la Chine ou encore la Russie.

Le cabinet de Monsieur le Ministre insistait à ce sujet dans la presse sur l’importance du renforcement des chaînes de valeur en donnant comme exemples des initiatives en économie circulaire. L’économie circulaire peut effectivement apporter une réponse dans certains cas, en réutilisant des ressources déjà présentes sur notre territoire. Relocaliser certaines productions peut également contribuer à répondre au problème, comme le gouvernement l’a fait pour la production de masques.

Quelle est sa stratégie pour augmenter l’autonomie et la résilience de notre région ?

Quelles sont les actions entreprises pour protéger notre économie et nos entreprises de cette dépendance ?

Qu’a-t-il mis en place afin de relocaliser certaines des productions concernées ou de réutiliser certaines des ressources évoquées dans cette étude ?

Réponse du ministre

La Wallonie reste une « petite » économie ouverte sur le monde. La dernière édition du Rapport sur l’économie wallonne (Issu d’une collaboration entre l’IWEPS, la SOGEPA et le SPW-EER, voir : https://www.sogepa.be/fr/news/372_rapport-sur-leconomie-wallonne-2022-une-contribution-de-la-cellule-economique-sogepa-sur-la-dependan) a montré que même si le rythme de croissance des exportations a ralenti par rapport aux évolutions exceptionnelles observées au début de ce siècle, les exportations ont progressé de manière favorable durant la période d’expansion économique internationale, qui s’étend de 2014 à 2019. Elle illustre aussi comment l’industrie domestique a notamment pu compter sur une récupération rapide d’un certain dynamisme des échanges mondiaux de marchandises, une fois le bref blocage du printemps 2020 surmonté. Les exportations wallonnes ont dès lors joué pleinement leur rôle de soutien à la croissance du PIB durant cet épisode.

Les crises récentes ont souligné combien nos économies sont fortement interconnectées. La crise sanitaire et les conséquences de la guerre en Ukraine ont ainsi révélé un autre élément potentiel de fragilité qui se pose aux entreprises à l’international, un défi qui avait pu, jusqu’il y a peu, demeurer relativement secondaire dans un environnement marqué par une mondialisation croissante : le risque pour nos économies d’une trop forte concentration des sources d’approvisionnement.

À l’image des exercices entamés au niveau européen et belge, il est intéressant d’analyser plus finement la dépendance aux importations au niveau de la Wallonie. Réalisée par la SOGEPA et le SPW-EER, cette analyse de dépendance consiste à regarder les produits pour lesquels les importations wallonnes sont majoritairement issues de pays non européens et pour lesquels les sources d’approvisionnement sont concentrées.

En termes de résultats, on observe que la Wallonie importe 1 210 produits différents, dont 135 ont une origine majoritairement extraeuropéenne et, parmi ceux-ci, 60 ont une source d’approvisionnement concentrée dans un nombre réduit de pays. En termes relatifs, ces 135 produits dépendants représentent près d’un quart des importations wallonnes totales de marchandises et ces 60 produits dépendants et concentrés représentent un peu plus de 5 % en moyenne. En termes de valeur des importations, c’est de la Suisse, des États-Unis et de la Russie dont la Wallonie est la plus dépendante et, en termes de produits, ce sont des produits pharmaceutiques et des produits en acier dont les importations majoritairement issues de pays non membres de l’Union européenne sont les plus élevées.

Ceci éclaire l’analyse de la position de la Wallonie et suggère de poursuivre la politique industrielle du renforcement des chaînes de valeurs en coordination avec les autres leviers d’actions au fédéral et au niveau européen. D’une part, le monitoring de notre économie mériterait d’être approfondi, en particulier au niveau régional pour mieux détecter les dépendances indirectes aux autres régions et comprendre davantage la valeur ajoutée régionale contenue dans nos flux de commerce. D’autre part, l’autonomie européenne doit être renforcée via l’investissement et le développement de capacités technologiques et industrielles. Il s’agit en particulier de soutenir l’investissement dans la recherche et l’innovation pour développer des voies de substitution à l’image de la Stratégie de spécialisation intelligente (S3) qui (1) se focalise sur des chaînes de valeurs prioritaires (domaines d’innovation stratégique), (2) capitalise sur des partenariats forts renforçant le potentiel d’innovation, la compétitivité des acteurs et leur ancrage dans le territoire et (3) dont on voit certaines initiatives d’innovation stratégique viser justement un renforcement de l’autonomie régionale. Par ailleurs, le développement de l’économie circulaire via la Stratégie Circular Wallonia est également à souligner.

Plus globalement, plutôt que cette tendance à la démondialisation ou à la relocalisation, j’aurais tendance à souligner pour les entreprises l’intérêt de réduire les risques d’une trop forte concentration et de passer d’une gestion des coûts à une gestion des risques en diversifiant les sources d’approvisionnement et en constituant des stocks stratégiques, par exemple. Dans ce sens, l’étude récente de la Banque Nationale (https://www.nbb.be/fr/articles/se-dirige-t-vers-une-ere-de-demondialisation) rappelle que la mondialisation n’est pas morte, mais qu’on peut s’attendre à une reconfiguration du commerce et des chaines d’approvisionnement mondiales, assortie d’une gestion des risques plus prudente, voire à davantage de régionalisme et de délocalisation amicale, suggérant de capitaliser davantage sur des liens forts avec nos partenaires européens en premier lieu. Comme le souligne cette étude, les enquêtes semblent montrer actuellement que les entreprises tentent effectivement d’accroître la résilience de leurs chaînes d’approvisionnement par une meilleure gestion de leurs stocks et une diversification de leurs fournisseurs plutôt que par de vastes stratégies de relocalisation.

En termes de politique industrielle, il s’agit de renforcer les chaines de valeurs de nos entreprises en ayant une vision large qui lie les questions d’innovation, de formation, de production, et l’adéquation avec les usages et les réponses aux défis sociétaux, en capitalisant sur de fortes collaborations au niveau européen sans négliger les autres leviers de politique industrielle que sont les aspects réglementaires (voir par exemple, le Carbon Border Adjustment Mechanism pour assurer la compétitivité de notre industrie dans une économie globalisée), la législation en termes de concurrence ou les marchés publics, et cetera.

La résilience des entreprises wallonnes et de notre région s’organise notamment au travers du renforcement des chaînes de valeurs.

Au travers de la cartographie des chaines de valeur, nous sommes capables de comprendre comment les chaînes de valeurs globales s’organisent et comment l’on peut renforcer les chaînes de valeur régionales (européennes ou locales) et dès lors les filières stratégiques par des actions concrètes.

L’AWEx accompagne des entreprises au travers des actions suivantes :
• la compréhension des concepts de chaînes de valeur et chaînes d’approvisionnement (supply chain) ;
• la mise en place d’une action de formation aux chaînes de valeurs et opportunités de renforcement lors des Export Days de l’AWEx ;
• la tenue de séminaires permettant de comprendre les actions à mettre en place pour renforcer les chaînes de valeur – stratégie de sourcing, approvisionnement, chaînes d’approvisionnement durables, optimisation des flux, stratégie de chaînes de valeurs (notamment en organisant salon BSMA Europe à la Hulpe le 29 septembre 2022) ;
• l’accompagnement et les échanges avec le pôle de compétitivité Logistics in Wallonia dans la conduite de diagnostic supply chain.

La résilience implique une meilleure analyse de risques, notamment au travers de la chaîne d’approvisionnement et par une stratégie de limitation des risques. Différentes stratégies de mitigation peuvent être mises en place :
– catégorisation des risques (propre à l’entreprise, propre au fournisseur, à l’environnement) ;
– audits et accords de partenariats, évaluation régulière des risques ;
– accords au niveau qualité
– stratégie d’acquisition ;
– « In Sourcing » ;
– diversification (également dans la conception) ;
– regroupements d’acteurs par filière ;
– réorientation de marché.

La protection des entreprises passe par les actions suivantes de l’AWEx :
• l’augmentation de compétences en compréhension des chaînes de valeurs et des chaînes d’approvisionnement (sensibilisation et accompagnement) ;
• en les aidant à trouver de nouvelles sources d’approvisionnement via les bureaux AWEx à l’étranger ;
• en les formant sur différentes stratégies de mitigation de risques. Cela a été mis en place notamment lors du congrès BSMA Europe le 29 septembre 2022, mais aussi via les échanges entre le Département sectoriel et les bureaux régionaux de l’AWEx dans la préparation des entretiens avec les entreprises. Un module de développement de mitigation de risques dans l’approvisionnement a été développé et doit être présenté aux entreprises/partenaires.

Dans ces domaines, l’objectif de l’AWEx vise à la diversification des sources d’approvisionnement pour pérenniser l’activité économique et l’emploi en Wallonie et maximiser son ouverture internationale.

Dans le cadre de la mise en œuvre d’une mesure du Plan de relance pour le renforcement des chaînes de valeurs, l’AWEx :
• met en place des actions qui permettent de mettre en avant l’intérêt de produire, d’assembler, voire de distribuer depuis la Wallonie ;
• étudie les tendances en termes de reshoring (EU reshoring monitor, stratégies françaises, japonaises, américaines, etc.) pour identifier les opportunités de relocalisation. Le reshoring est la pratique consistant à transférer une activité qui a été déplacée à l’étranger vers le pays d’où elle a été initialement délocalisée. Cela doit répondre à différents besoins économiques, écologiques ou stratégiques ;
• participe à des analyses d’opportunité liées à des secteurs spécifiques (groupe de travail avec la SOGEPA sur les semi-conducteurs) ;
• a analysé les enjeux en termes de sourcing et de dépendance de certains secteurs comme le secteur biopharmaceutique (en partenariat avec Essenscia notamment) ;
• positionne les secteurs wallons dans les stratégies européennes sectorielles pour identifier les opportunités et les capter en Wallonie, voire les intégrer nos sociétés ;
• planifie différents évènements axés « reshoring » ou nearshoring pour 2023. Le nearshoring consiste à délocaliser ou à rapatrier une activité économique dans un pays proche de ses marchés de consommation. Dans le cadre de l’action de l’AWEx, cela représente plus d’opportunités pour lesquelles nous mettons en avant le besoin pour les entreprises de se rapprocher de leur marché de consommation pour des raisons écologiques, mais aussi de service aux clients, de réactivité et de résilience ;
• a abordé le sujet du reshoring lors de différents évènements organisés (ex : BSMA en septembre 2022).

Enfin, l’AWEx n’agit pas pour relocaliser des activités en Wallonie en « protégeant » notre économie des partenaires étrangers, mais bien pour l’aider à s’ouvrir plus et mieux pour renforcer nos écosystèmes, leur valeur ajoutée et leur emploi, à l’invest comme à l’export, et assurer ainsi la résilience des entreprises wallonnes.