Question orale au Ministre Henry
Monsieur le Ministre, les factures d’énergie des ménages ont très fortement augmenté ces derniers mois, on en a déjà beaucoup parlé précédemment et pas plus tard qu’aujourd’hui dans cette commission. Arrivé au terme de son contrat, il n’est pas rare, ces dernières semaines, qu’un consommateur se voie proposer un tarif trois ou quatre fois supérieur pour la partie commodity de sa facture de gaz par exemple. Pour de nombreux ménages, cette charge est très difficile à assumer sans se priver au-delà du raisonnable ou sans risquer le surendettement. Le Gouvernement fédéral a heureusement adopté plusieurs mesures pour atténuer cette hausse de prix. Vous avez annoncé que le Gouvernement wallon allait lui aussi prendre ses responsabilités et mettre en place des aides complémentaires ou prolonger des aides déjà existantes.
Pouvez-vous faire le point aujourd’hui avec nous par rapport à ces décisions, à ces propositions ? En parallèle, si l’urgence est bien de venir en aide à nos concitoyens en difficulté à cause de cette hausse des prix, idéalement les mesures d’aide d’urgence devraient aussi permettre de soutenir nos objectifs de transitions énergétiques. Comment agir afin que ces aides soient compatibles avec ces objectifs à moyen et long terme dans la mesure du possible ? Peut-être que cela ne l’est pas.
La question d’un fournisseur public d’énergie avait déjà été portée par le groupe Ecolo et le groupe Socialiste il y a plusieurs mois. Vous avez lancé une consultation sur ces enjeux à la fois de service universel, d’une fourniture de base, d’un fournisseur public ce qui est une très bonne chose, mais j’imagine qu’il est un peu tôt pour en parler vu que cette consultation n’a pas encore abouti.
Je vous remercie d’avance, Monsieur le Ministre, pour vos réponses.
Réponse du Ministre
Depuis le début de la législature, nous avons été confrontés à plusieurs crises, graves, qui ont généré des difficultés pour les ménages dans leur accès à l’énergie.
La crise des prix constitue une nouvelle difficulté à laquelle nous devons faire face. Cette crise ne concerne pas que la Belgique. Tous les pays européens y sont confrontés. L’augmentation des prix du gaz provient d’une demande particulièrement élevée à la suite de la reprise post-covid, notamment en Asie, où la demande en gaz naturel a explosé, faisant concurrence à l’Europe. La demande a également été influencée par un hiver 2020-2021 long et particulièrement froid, qui a contraint à puiser dans les stocks sans possibilité de les renflouer par la suite. La
hausse du prix du CO2 et du charbon a également eu une incidence sur le recours au gaz pour produire de l’électricité. Cette demande a justement lieu à un moment où l’offre se fait rare, du fait d’une conjonction d’éléments :
– les niveaux de stockage sont en deçà des normales saisonnières ;
– l’offre de gaz en provenance de Russie et, dans une moindre mesure, de Norvège par gazoduc est réduite ;
– la date de démarrage du gazoduc Nordstream 2 est incertaine ;
– sans oublier les tensions géopolitiques avec la Russie.
Tous ces éléments combinés amènent à une hausse des prix du gaz, mais aussi de l’électricité qui en dépend en partie. Alors que l’Europe souffrait déjà du prix élevé du gaz à la suite d’une forte demande, la société russe Gazprom a diminué ses exportations de gaz naturel vers l’Europe d’un cinquième par rapport au niveau pré- covid. Cette diminution a aggravé l’augmentation du prix du gaz pour l’Europe. La Belgique n’est pas dépendante du gaz russe. Elle importe la plus grande partie de son gaz naturel de la Norvège, des Pays-Bas et du Qatar. Seuls 5 % du gaz belge est importé de Russie. Cependant, la dépendance européenne au gaz russe a un impact sur l’intégralité du marché et la Belgique est donc vulnérable face aux augmentations des prix sur les marchés internationaux. Les ménages sont évidemment affectés par la hausse des prix de l’énergie, mais de manière fortement hétérogène.
Pour rappel, l’indexation automatique protège le pouvoir d’achat du « ménage moyen » avec toutefois un effet retard : les prix augmentent d’abord, et les revenus sont corrigés par la suite. Mais nombre de ménages ne subissent pas le même niveau de compensation, en particulier :
– ceux dont les revenus ne sont pas ou pas complètement indexés ;
– ceux qui ont des contrats désavantageux – notamment à tarifs variables – ou qui perdent un tarif avantageux – échéance du contrat à tarif fixe, perte du droit d’accès au tarif social, faillite du fournisseur d’énergie – ;
– ceux qui se chauffent au gaz et/ou à l’électricité – le prix du gasoil et des pellets, notamment, ayant augmenté moins fortement jusqu’ici – ;
– ceux qui habitent des logements à faibles performances énergétiques – grands et/ou mal isolés et/ou sans énergies renouvelables installées et ceux pour qui les dépenses énergétiques représentent une plus large part de leurs revenus, car c’est plus souvent le cas des ménages précaires qui risquent de voir leur situation s’aggraver.
Par ailleurs, un certain nombre de ménages pourraient se retrouver fragilisés par leur facture de régularisation, surtout si leurs acomptes n’ont pas été suffisamment adaptés, ce qui pourrait générer un bill shock en 2022. Sur base de récent rapport circonstancié de la CWaPE sur l’évolution des prix de l’électricité et du gaz pour les différents segments de consommation, il est estimé sur base de différentes hypothèses qu’un ménage sous tarif variable pourrait connaître une augmentation de son tarif de 135 % par rapport à 2019 à 150 % par rapport à 2020 en électricité. L’évolution en gaz serait quant à elle de +175 % par rapport à 2019 et +200 % par rapport en 2020. Comme je l’ai déjà rappelé à de nombreuses reprises, la compétence d’aide sociale aux ménages en matière d’énergie est principalement une compétence fédérale. Les dispositifs que nous proposons doivent s’inscrire dans la complémentarité.
Nous avons eu des premiers échanges la semaine dernière avec les partenaires de la majorité. Je présenterai ce jeudi un projet de texte visant à interdire les coupures sur tout le territoire wallon, ainsi qu’une note d’orientation présentant différentes possibilités d’actions pour renforcer la première ligne et octroyer une aide directe aux ménages en difficulté. L’interdiction des coupures sur le territoire des communes sinistrées est déjà prévue dans le cadre du décret Intempéries. D’ici à la fin de l’année, le décret Juge de paix entrera en vigueur, et plus aucun ménage en situation de défaut de paiement ne pourra être coupé de manière administrative. La proposition que je soumettrai au Gouvernement de cette semaine, qui concernera l’électricité et le gaz, assurera l’articulation entre ces deux dispositions en étendant l’application territoriale et l’application dans le temps de la suspension des coupures. La suspension des coupures proposée permet de maintenir l’accès des ménages à l’énergie s’ils ont refusé la pose du compteur à budget. Cela leur évite des coûts de réouverture du compteur, des coûts d’achat de matériel pour pallier la coupure. Cela évite aux ménages de se retrouver chez eux sans électricité/chauffage alors que le télétravail est toujours majoritairement la règle. Il ne s’agit pas d’une aide sous forme de monnaie sonnante et trébuchante, mais garante du respect des droits des ménages en veillant à l’interdiction d’une coupure sans évaluation préalable de la situation par un acteur neutre et objectif. En ce qui concerne l’option d’une aide directe aux
ménages, nous sommes confrontés aux mêmes difficultés que pour les précédentes crises : l’absence de base légale dans les décrets énergie pour octroyer une aide directe, autre que celles visant à l’utilisation rationnelle de l’énergie. En outre, nous manquons de données pour identifier les ménages qui auraient besoin de cette aide, rendant difficile l’évaluation de l’impact budgétaire de cette mesure. Nous préférons donc prendre le temps de la réflexion avec les partenaires de gouvernement pour trouver la meilleure solution possible tout en étant, bien sûr, conscients de l’urgence.
Mes collaborateurs et moi-même nous y travaillons d’arrache-pied, je peux vous l’assurer. Nous travaillons en collaboration avec les différentes parties concernées : GRD, fournisseurs, associations de consommateurs, CPAS, et cetera, tout comme lors des précédentes crises.
Le rapport sur l’évolution des prix énergétiques que j’ai demandé à la CWaPE a été livré et est actuellement disponible sur son site. La CWaPE propose en effet diverses mesures dont l’extension du nombre de bénéficiaires du tarif social, le chèque énergie, la baisse de la TVA, la diminution de la consommation, la recherche d’une saine concurrence sur le marché, en passant par la recherche d’autres sources de financement pour le soutien aux énergies renouvelables et pour les obligations de service public à caractère social. De manière globale, l’accompagnement des ménages en cette période difficile est une priorité. J’ai été informé des difficultés auxquelles le service d’appui Énergie Info Wallonie est confronté. Ce service est soutenu depuis 2014 par la Région wallonne. Jusqu’en 2020, la subvention était de l’ordre de 200 000 euros.
En raison de la crise sanitaire, une augmentation significative des dossiers a été constatée, mettant en péril la santé des employés ainsi qu’une prolongation des délais de traitement. Pour répondre à ces difficultés, la subvention a été augmentée à 271 590 euros pour la période du 1er mars 2021 au 28 février prochain afin de permettre le renforcement de l’équipe en place à hauteur de 1,8 équivalent temps plein supplémentaire. Pour 2022-2023, une subvention à hauteur de 335 000 euros a été octroyée sur la base des besoins identifiés à l’automne dernier. Ces montants devaient permettre le maintien de l’équipe en place, qui est nécessaire pour répondre à l’augmentation du nombre de demandes.
Toutefois, l’augmentation des demandes des ménages dans le cadre des consultations se poursuit en ce début d’année et les majorations octroyées ne suffisent pas pour y faire face. J’ai donc chargé mes services d’analyser les pistes possibles pour répondre rapidement à ce problème. Ce projet répond à un important besoin des consommateurs vulnérables et des travailleurs sociaux du secteur associatif. Il comble en effet un manque de soutien et d’expertise pour ce public vu la complexité des relations entre les acteurs des marchés du gaz et de l’électricité ainsi que la difficulté de trouver des personnes et des réponses adéquates en cas de problème. Le site internet développé par Énergie Info Wallonie ainsi que les fiches thématiques fournissent des informations pratiques pertinentes aux consommateurs et en particulier au public précarisé.
La pérennisation et la permanence de ce service me semblent indispensables, et nous y travaillons. Au sujet des mesures à mettre en place contre les fournisseurs ne respectant pas le décret régional sur le marché de l’électricité et du gaz, bien que la Région wallonne soit compétente pour imposer certaines obligations de service public aux fournisseurs, en matière sociale, la politique de protection de consommateurs reste une compétence fédérale. Dans ce cadre, un accord sur la protection des consommateurs dans les marchés libéralisés du gaz et de l’électricité a été conclu avec la majorité des fournisseurs en 2005 et a été largement revu en 2018.
Au niveau wallon, l’article 34 du décret Électricité impose différentes obligations de service public aux fournisseurs. Le respect de ces obligations repose sur la CWaPE dont le Service régional de médiation pour l’énergie a pour rôle de répondre aux questions des clients et à leurs plaintes. Dans le cas de questions ou de plaintes relevant de la protection des consommateurs, le Service régional de médiation transfère les plaintes au Service fédéral de médiation pour l’énergie, conformément au principe du guichet unique, et remplit son rôle d’information quant aux réponses à apporter aux clients.
En ce qui concerne le tarif social, je peux vous préciser que le nombre de bénéficiaires du statut de client protégé conjoncturel est passé de 1 500 ménages à la fin 2021 à 3 000 ménages à la fin du mois de janvier. Cette hausse est probablement liée à l’impact des inondations. Nous avons sollicité une évaluation du mécanisme auprès de la CWaPE et présenterons des perspectives pour un mécanisme amélioré au Gouvernement à la fin du mois de juin. La CWaPE laisse aux autorités politiques le soin d’opérer les choix entre les différentes pistes qu’elle identifie. Toutes ces mesures ont un impact important sur les finances publiques. Il importe donc d’être prudent, de rester très ciblé et de s’assurer que les effets correspondent effectivement aux besoins essentiels de la population ou des entreprises.
En ce qui concerne les sources de financement de mesures d’aide aux ménages, le fonds Kyoto permet effectivement de fournir une aide financière afin de prendre en considération les aspects sociaux en ce qui concerne les ménages à revenus faibles et moyens. Cependant, tant que nous n’avons pas d’accord au niveau belge sur le partage de la charge pour la période 2021-2030, les revenus de la vente aux enchères des quotas de CO2 dans le cadre du système d’échange européen sont malheureusement bloqués sur un compte bancaire au niveau du Fédéral. Le fonds Kyoto wallon n’est donc plus alimenté depuis janvier 2021. Dans tous les cas, l’usage du fonds reste une solution prioritaire pour permettre de compenser une part des hausses constatées, comme il reste prioritaire pour accompagner les actions de transition énergétique et climatique. Il serait en effet peu opportun, me semble-t-il, d’affecter le fonds massivement à la gestion de crise sans anticiper les effets de celles-ci à long terme, dont on sait qu’une grande partie de la temporisation pourra être assurée par des investissements massifs dans la transition énergétique et la transition bas-carbone. À propos des contributions de type surcharge ou redevance de voirie, plusieurs éléments doivent être pris en compte. Les redevances de voirie ont été décidées par le Parlement wallon pour soutenir financièrement les communes en électricité et en gaz, ainsi que, pour le gaz, les provinces et de la Région. Cependant, l’impact est faible sur le coût de l’énergie, de l’ordre de 1 %.
En ce qui concerne la surcharge, celle-ci ne concerne que le vecteur électricité et n’offre dès lors pas de piste d’action concrète pour le gaz.
La question plus spécifique relative à la création d’un fournisseur public d’énergie en Wallonie est en débat actuellement. Comme vous l’indiquez, cette piste est citée dans la DPR. Il est essentiel, en effet, de mieux protéger les clients qui sont en difficultés financières. La proposition de décret Juge de paix va d’ailleurs dans ce sens. Ma réflexion veut privilégier la solution la plus confortable pour les ménages précarisés, sans induire de perturbations ou de surcoût majeurs au niveau du marché de l’énergie dans son ensemble. Je suis persuadé qu’il est possible de préserver la dignité énergétique des ménages en proie à des difficultés financières sans perturber plus que nécessaire les règles du marché. L’apport que peut représenter un fournisseur public, forcément subventionné, et le type de public qu’il peut recevoir seront examinés sur base de cette approche ainsi que des expériences menées dans des secteurs analogues.
Je souhaite aussi préciser que d’autres pistes sont également explorées pour améliorer le service énergétique de base, accessible à tous, même ceux qui ne souhaitent pas apporter de la flexibilité au système énergétique ou qui ont une faible consommation. C’est ce qui est prévu dans le projet de décret modificatif du décret tarifaire, qui sera bientôt présenté en troisième lecture au Gouvernement. Cette modification décrétale donnera les moyens à la CWaPE d’aller dans ce sens dans la mise en place de la nouvelle tarification pour l’utilisation du réseau.
Enfin, comme cela a déjà été dit, en complément des mesures d’urgence déjà adoptées par le Fédéral et en cours d’analyse au niveau régional, il est absolument essentiel de soutenir les ménages dans leurs démarches de rénovation de leur logement. La seule manière de soutenir les ménages pour faire face dans la durée à l’augmentation des prix de l’énergie, c’est réduire leur facture de manière structurelle : l’isolation de la toiture, le remplacement des châssis, de la chaudière sont autant de moyens de réduire fortement la consommation du
logement. Nous savons que de nombreux ménages font face à des difficultés pour enclencher ces travaux : soit ils ne disposent pas des moyens nécessaires pour les préfinancer, soit ils n’ont pas accès au crédit, soit ils ne disposent pas des biens sur le logement, car ils sont locataires. Lever ces difficultés figure dans mes priorités de travail pour l’année 2022. Comme vous le savez, nous avons dégagé des disponibilités budgétaires importantes dans le cadre du Plan de relance.
Réplique :
Merci, Monsieur le Ministre, pour vos réponses.
Au-delà du « yaka » de certains, le Gouvernement travaille sérieusement, le plus rapidement possible, mais dans un contexte compliqué, dans un secteur compliqué, pour apporter des réponses à la population.
Concernant les pratiques des fournisseurs, encore une fois, c’est de la responsabilité, avant tout, des régulateurs. C’est aussi une responsabilité fédérale : la protection des consommateurs. La ministre Van der Straeten a d’ailleurs agi par rapport à Mega ou à l’égard des pratiques d’autres fournisseurs, de fin de contrat abusive ou d’augmentation d’acompte injustifiée. Il reste effectivement des pratiques très problématiques contre lesquelles il faut continuer à lutter. Enfin, sur l’enjeu du fournisseur public, je ne suis pas convaincu, je ne suis pas sûr, mais c’est à examiner,
qu’il devrait être forcément subventionné. Il y a des modalités à étudier pour mettre en place ce type de dispositif, voire d’autres, pour répondre à la situation des personnes qui n’ont pas forcément le temps et l’énergie – c’est le cas de le dire – de vérifier tous les six mois qu’ils ont le meilleur tarif et le meilleur contrat et qu’il y a en tout cas un service de base à apporter, que cela passe par un fournisseur public ou par un autre dispositif.